Il y a bien longtemps, le phare de la Crique de l’Aurore était la demeure du Gardien, nul ne savait depuis quand il était à son poste, on racontait à l’arrière qu’il avait fait un pacte avec Llymlaen elle-même… Ainsi depuis ce temps, il permettait la liaison entre la terre et la mer en sécurité, chargé de la noble mission de protéger les marins pour qu’un jour leurs épousées puissent les revoir.
Cependant, en cette époque reculée, il n’y avait guère que les pirates pour s’engager dans le périlleux détroit de Merlthor. Et d’années en années on racontait que lors des jours les plus brumeux, le phare s’éteignait pour ne se rallumer qu’une fois celle-ci levée… On racontait que lorsque le feu bienveillant du phare disparaissait, d’autres plus étranges s’allumaient sur les falaises… Et précipitaient les équipages trop confiants sur les brisants.
C’est qu’en vérité, le gardien, si ancien, était devenu arrogant vis à vis de la mer, il était devenu froid. Il était devenu vénal. Il voulait que chacun qui utilisait son aide lui paye une part conséquente de son chargement, dans le cas contraire il menaçait toujours d’éteindre la lumière et de précipiter les hommes dans l’obscurité des bas-fonds. Les pirates devaient lui donner pas moins d’un tiers de leurs rapines s’ils espéraient pouvoir continuer à s’engouffrer dans ces eaux avec l’aide des feux du phare des Brumes…
De cette nouvelle lubie – car s’en était une, il ne faisait rien des trésors qu’on lui donnait, on raconte même qu’il les précipitait dans un grand coffre, au fond de la mer – est née une autre légende maritime de Vylbrand… qui n’est, pourtant, en rien liée à ce Gardien dans la mémoire collective. Car étrangement malgré les nombreux naufrages, peu de gens parlaient des catastrophes et la réputation de Willem Lee était intacte et auréolée du sacrifice de sa vie d’ermite. C’était un saint homme et si parfois des pirates venaient à mourir, c’était juste Lymlaen qui en avait décidé ainsi… Et lorsque » L’Incident » survint, c’est en héros qu’il resta dans les mémoires… Son personnage se teintant des légendes propres à l’océan et ses mystères.
Les naufrageurs sont issues de la malveillance de Willem Lee. Non content d’éteindre parfois, le phare, il voulait faire payer plus chèrement ceux qui ne voulaient pas lui obéir. Il créa cet équipage maudit… sans jamais en assumer la paternité à la lumière de l’histoire.
Il connaissait chaque pavillon lui ayant fait outrage, ainsi dès que l’un d’eux avait la malchance de débuter sa traversée le soir, le feu des Brumes se taisaient pour donner naissance à ses maudites répliques. Pendant une trentaine d’années, le gardien et ses corsaires sévirent sur la côte et au-delà. Dans les premiers temps de cette alliance, le Gardien ne demandait qu’un tiers des cargaisons des naufragés. Mais d’années en années, il se fit aussi de plus en plus pressant, menaçant également l’équipage maudit qu’il avait créé et dont le phare protégeait les activités. Cachés dans les profondeurs des caves du grand édifice et dans entrelacs de couloirs sombres. Personne n’aurait pu deviner de la terre qu’un tel repaire se trouvait en lieu et place du phare des Brumes.
Llymlaen, parlons-en, selon la légende, la mer aurait donné une fille au gardien, une fille aux cheveux blancs comme l’écume, à la peau translucide de l’eau sous le soleil du printemps. Une beauté connue de tous. Douce et maternelle, elle accueillait tous ceux qui avaient besoin de réconfort. Elle soignait. Elle berçait l’enfant seul et triste. Elle consolait la veuve. Sans rien en retour. Son père possessif n’était pas prêt à ce qu’elle donne autant de présence aux autres et bien souvent, au lieu de la laisser voguer là où on avait besoin d’elle, il l’enfermait dans la salle basse du phare.
Annabelle, puisque c’est ainsi qu’elle se nommait, aimait un pauvre jeune homme de la Métairie du Coq Rouge, du nom d’Allan Poe et cet amour était réciproque. Il était bon, généreux avec autrui alors qu’il ne possédait que sa vie. Il l’aimait simplement. Et ne désirait que sa présence à ses côtés, sans attache et sans contrainte. Sans rien d’autre qu’elle-même. Ils s’étaient connus alors qu’elle portait secours aux victimes d’un des nombreux naufrages qu’elle ne savait pas provoqué par son père. Ils avaient pris l’habitude de se retrouver dans les réserves de la métairie, à l’abris des regards et des sbires de son gardien de père.
Un jour, alors qu’ils se promenaient lors d’une de leurs rares sorties ensemble, il lui offrit une fleur toute de sel composée. Brillante comme le cristal… Elle ne devait jamais la quitter jusqu’à la fin…
Vint le moment tragique où il décida que sa fille devait se marier, et bien que sachant sa fille amoureuse, le père posa une sinistre condition. Il était arrogant, mégalomane, et voulait montrer à tous que c’était lui qui commandait tous les êtres de la péninsule. Et là où la plupart des filles à marier sont doter, il voulait que ce soit le prétendant qui lui ramène une fortune digne d’un roi… Digne du roi des mers qu’il se voulait être. Celui qui en aurait le plus remporterait sa main.
Les prétendants vinrent nombreux, attiré par sa beauté, par la promesse de pouvoir d’être le gendre du gardien, peu pour sa fille. Marchands, armateurs, pirates… nombreux furent les prétendants à amener des fortunes au gardien, beaucoup espérant à demi-mot obtenir le droit de passage inaliénable dans le détroit. Mais il ne décidait pas…
De son côté, le jeune Allan n’avait pas baissé les bras et … alors qu’il tentait en vain de remonter quelques trésors des profondeurs de la mer, il fit la connaissance de quelques matelots isolés. Ceux-ci le voyant trimer ainsi, lui proposèrent de travailler avec eux… A quelques minces besognes…
C’est ainsi que sans le savoir, Allan rejoint les naufrageurs. Il ne savait pas encore où il mettait les pieds, encore moins qu’il agissait indirectement au service du père de sa dulcinée.
Les mois passèrent et Allan comprit rapidement dans quel type d’organisation, il était tombé, mais c’était la première fois qu’il gagnait autant d’argents et il avait à nouveau l’espoir de pouvoir racheter la main de sa très chère Annabelle dont le père gardait jalousement la main, montant toujours plus les enchères. Il la séquestrait maintenant la majorité du temps, sous prétexte que de vils pirates sévissaient dans la région et qu’il voulait la protéger en bon père de famille – alors qu’il avait simplement peur qu’elle ne lui échappe sans jamais revenir. Elle ne pouvait plus voir Allan, lui qui était si proche sans qu’elle le sache. Elle ne savait rien des demandes et des agissements de son père. Elle se réfugiait dans ses livres et carnets, où elle tentait de dessiner une vie qu’elle ne pouvait avoir.
Il fut très clair pour Allan que ce groupe de brigands recouraient à de nombreux trafics et il en fut un qu’il découvrit avec horreur lorsqu’on lui proposa d’épouser une jeune femme du nom d’Emily. On lui promettait une somme rondelette s’il arrivait à la séduire… et à remporter sa dot. Il comprit rapidement que ce n’était pas la première fois que l’on pratiquait ce type de magouille. Il ne put que leur répondre qu’il ne voulait se marier qu’avec la belle du phare et que c’est pour cela qu’il tentait tant de récupérer de l’argent.
Que cela soit par réelle empathie, par amusement ou par défis, les naufrageurs présents lui proposèrent un marché : « S’il arrivait à faire tout ce qu’on lui demandait, ils lui donneraient une part suffisamment conséquente de leur trésor amassé depuis des décennies, afin qu’il puisse acheter sa belle ».
Il accepta naïvement. Il séduit la jeune Emily, cela lui prit quelques mois, mais ses belles promesses, tout autant que son beau minois finirent par convaincre la famille de la justesse de sa demande. Ce n’est qu’après cela qu’il comprit … et c’était tellement logique, qu’il devrait se débarrasser de la jeunette… Il ne pouvait espérer se marier avec Annabelle s’il était engagé avec une autre. Et comme l’avait pressentit les naufrageurs, il avait le cœur trop bon. La situation était des plus amusantes… Et il n’avait rien vu venir…
De son coté, un membre éminent d’un cartel du sud avait amené une fortune digne d’un sultan… Alors, le gardien trouva cela amusant, que l’on vienne d’aussi loin pour lui prêter allégeance. Il accepta et annonça à sa fille qu’elle épouserait un homme d’ici trois mois.
Elle envoya un dernier message désespéré à Allan. Lui assurant son amour, elle lui faisait ses adieux. Celui-ci devait à tous prix trouver une solution… C’est ainsi qu’il se débarrassa de sa jeune épouse… Mais contrairement aux preuves de sa mort qu’il apporta, il ne la tua point. Il la laissa bien loin de tout cela, sur les côtes du continent, avec un petit sac et des vivres… Il lui expliqua tant et bien qu’il ne pouvait rien faire de plus pour elle et que si elle restait avec lui, elle était condamnée. Elle l’aimait et portait son enfant. Elle le laissa partir, envahie par la terreur et le désespoir.
Bien plus loin, dans une chambre basse, Annabelle refusait obstinément de sortir de sa chambre et d’épouser cet homme qu’elle ne connaissait pas et qu’elle n’aimait pas. Enfermée dans le bas du phare, dans une pièce sans dessus-dessous. Était-ce vraiment la fille de Llymlaen ? Nul ne le sait, mais ce qui est certains c’est que lorsqu’elle pleurait…. tant et tant que le ciel se couvrait et que la pluie se mis à tomber, avec une telle violence qu’une tempête éclata. Ses larmes glissaient une à une sur la fleur de sel qu’elle tenait au creux de ses mains…
Entre temps, le trajet entre le phare et la terre était à présent impossible à faire, que l’on ait beaucoup de pièce de métal ou pas. La mer déchaînée empêchait quiconque de quitter la terre et de rejoindre les haut fonds. Cela dura des jours. Le gardien était furieux, sans les trajets et sans que ceux de la terre ait besoin de rejoindre la mer, il n’avait plus de pouvoir, plus d’argent. Que sa fille lui désobéisse ainsi était le moindre des outrages… et lui somma de cesser ses larmes.
Allan se rendit dans un cimetière et guetta plusieurs jours avant de voir le cortège funèbre d’une jeune personne… Lorsqu’ils eurent enterrés, priés et quittés les lieux, il déterra le corps de la jeune femme et lui coupa la main, lui glissant l’alliance qu’avait portée Emily. C’est avec ce sinistre trophée qu’il revint au repaire des naufrageurs. Etonnés, mais amusés, les naufrageurs tinrent paroles aussi étonnant que cela puisse paraître. Ils donnèrent à Allan une part du butin. A ce moment-là, les naufrageurs avaient bien d’autres buts et savaient pertinemment qu’ils récupéraient cet argent et bien plus encore s’il se débarrassait pour de bon du gardien. Ce n’était pas comme si cet argent allait bien loin.
Ainsi, il se rendit pour la première fois devant Willem Lee et lui demanda la main de sa fille… Aux vues des merveilles qu’il lui apportait, il hésita, et finalement… Fit mine d’accepter son offre. Mais il n’informa en rien sa fille des changements concernant ce mariage. Elle épouserait toujours l’homme qui avait apporté la plus grande fortune…
Plus la date se rapprochait, plus Annabelle prenait congé de la vie. Un petit matin, où elle avait enfin réussi à forcer sa porte… Et alors que les flots semblait se calmer, que le ciel comme les larmes de la jeune femme s’étaient taries, elle monta en haut du phare. Maudissant son père, ainsi que tous ceux qui n’avaient jamais voulu l’aider malgré ses appels, elle se poignarda avec une épingle en regardant l’horizon, son corps inerte fut précipité du haut du phare et s’abîma dans les flots. Le père, ivre de douleur, entra dans une rage folle que sa fille ait pu ainsi disparaître et lui désobéir, … Et s’enferma dans le phare, refusant à présent de l’ouvrir pour quiconque.
Dans ses derniers instants, Annabelle pu voir luire une montagne d’or dans le fond de la mer, ainsi que la blancheur des os des naufragés jetés dans une fosse marine non loin. Et les yeux exorbités, elle comprit bien des choses. La violence des sentiments qu’elle ressentit alors laissa une empreinte durable sur les lieux… Une malédiction qui allait donner naissance à la Dame des Brumes…
Le Gardien annonça que sa fille avait été tellement désespérée du choix de son époux qu’elle avait préféré disparaître… Allan ne comprit pas… et il resta dévasté et prostré des jours durant… regardant les falaises et se demandant pourquoi il ne se précipitait pas lui aussi dans le vide. Pourtant quelque chose le poussait à vivre… Il finit par retourner au repaire, afin d’y faire quelques menus travaux. C’est ainsi qu’il finit peu à peu par comprendre les véritables liens qu’il y avait entre le gardien et les naufrageurs…
Il n’était plus le jeune amoureux naïf de ses débuts, il comprit les sinistres manœuvres des uns et des autres. Il trouva bien des indices, apparaissant à lui, étonnement claires… Et disposé là par la main vengeresse d’une dame blanche.
Il découvrit que le gardien était le responsable de la mort de sa belle, qu’il n’était en rien le bon Gardien que l’on croyait mais un cupide, arrogant et destructeur mégalomane.
Il voulu aller le voir et en découdre. Mais la main froide d’une dame blanche calmait ses ardeurs… Alors il attendit, compris les mutineries qui se préparaient maintenant que définitivement fou, il tenait en otage toute la côte en n’allumant plus jamais le phare. Les naufrageurs n’avaient plus rien à naufrager, et peu à peu les marins choisissaient d’autres itinéraires, quoique plus longs, il était à présent bien plus sûr de passer par la côte ouest… Ou le phare de Sirius n’était pas aussi instable et son gardien, pas aussi corrompu.
Ils décidèrent d’assassiner le Gardien et de le remplacer, espérant recommencer le chantage vis-à-vis des pirates qui préféraient toujours la discrétion du détroit que les grandes eaux de Galadion.
Allan, le dépressif, considéré comme inoffensif et demeuré entendait tout, seul dans son coin, il surveillait… Bien décidé à se venger. La main froide d’une Dame blanche sur son épaule.
Jour après jour, il entreposa des réserves inutilisées des barils de poudre. Attendant le soir où les prétendus justiciers devaient terrasser le gardien. Il finirait sa vie en faisant sauter les fondations de l’édifice. « Par le fond, par le fond »... lui soufflait-elle.
On raconta dans les compagnes qu’un séisme avait parcourues la côte et avait fait tomber le géant de pierre dans l’océan. Allan périt … il s’était réfugié sans vraiment le savoir dans une petite pièce basse… Une petite pièce du phare, avec tous les objets surannés de la jeune fille. Une fleur de sel et de cristal. Et sa robe d’écume. Et c’est presque heureux qu’il mourut, entouré par le parfum de sa belle.
Tous ceux qui périrent dans le phare furent attiré… par le fond… enchaînés au coffre jusqu’à ce qu’un jour, quelqu’un les libère… peut-être.
Hélas, cela ne détruisit pas les naufrageurs… La plus grande partie du repaire avait bien disparu avec le phare… Ainsi que plusieurs des membres les plus importants de leur groupe. Ils étaient privés de leur revenu principal, même s’ils allumaient toujours des feux, par temps de Brume… Ils se spécialisèrent dans d’autres terrifiants trafics que sont le trafic de dots et de blanches. Il y avait les riches héritières qui disparaissaient peu de temps après leur épousailles et puis toutes les mignonnes qui étaient enlevées pour être revendue à quelques riches Uldhiens amateurs de peaux blanches. Quand il ne s’agissait simplement pas que de prostitutions pure et simple… des vivantes, comme des mortes.
Malgré cela… de nombreuses jeunes femmes périrent dans les dernières pièces du repaire… A mesure que des vies innocentes étaient prises, la Dame Blanche s’éveillait, toujours plus. Reprenant contrôle d’elle-même, appréhendant sa réalité et celle des vivants. Toujours plus, mortes après mortes… Atrocités après atrocités… Prisonnière de la terre et des falaises, elle ne pouvait rejoindre la mer… Privée à jamais de l’écume et incapable de rejoindre pour l’éternité celui qu’on lui avait refusé.
Deux années s’écoulèrent avant qu’elle atteigne suffisamment de puissance pour influencer la réalité des vivants et enfin sonner le glas de l’activité des naufrageurs de Brumée.
Une procès eu lieu, ils furent plusieurs à être condamné à mort… Des coupables… et des innocents… Et les plus grands noms furent épargnés, trop nobles, trop saints, trop protégés…
Bien des années plus tard, ils fondèrent une nouvelle compagnie… du même nom. L’un d’eux finit par avoir un fils, qu’il nomma John. John Rackham.