Une porte claqua…

 

 

Elle jaillit en courant de la maisonnée. Elle était abasourdie et des larmes coulaient doucement sur ses joues. Elle courut vers le jardin pour y trouver la paix. Sayuki avait douze ans. Elle venait d’apprendre que sa famille avait conclu ses fiançailles sans même la prévenir, avec un inconnu d’une famille que l’on décrivait prestigieuse. Sayuki avait plus que jamais un caractère passionné, libre et peu porté sur la raison et elle prit très mal ce qu’elle ressentait comme une forme de trahison. Elle avait beau savoir que c’était la suite logique des événements, au vu de son âge, on l’avait préparé à cela… mais elle vivait ça comme une restriction de sa liberté et une négation de sa personne. En soupirant, ses parents laissèrent leur fille courir qu’elle laisse sa fureur exploser dans le cadre familial, elle finirait bien par revenir à la raison de toute manière. 

Sayuki n’était pas du même avis, son monde venait de s’effondrer et dans son cœur la jeune fille ne pouvait l’accepter. Elle passa en courant devant le pavillon d’Etsujirō. Il s’adonnait alors à un travail de calligraphie et il leva les yeux, n’apercevant que les bruissements d’étoffe blanche à travers la fenêtre. Il ne réagit pas de suite, étonné par tant de fracas.

Sayuki se jeta au pied d’un arbre et continua de sangloter, pendant plusieurs minutes. Elle pensa d’abord prendre Haneki et partir là où le vent la porterait… Mais à cette heure elle ne parviendrait pas à sortir du domaine sans qu’on l’en empêche, surtout que toute la famille était au courant de la situation. Pourtant, elle ne voulait en aucun cas rester là, trop énervée et habitée d’un désespoir profond. Depuis peu de temps, Etsujirō avait soulevé certaines protections étant donné ses progrès évidents en matière d’ishiken-do, il la laissait aller seule de plus en plus puisqu’il la considérait comme capable de gérer son pouvoir.

Alors, profitant de cette situation, elle ferma les yeux et se projeta dans le vide. Elle s’enfonça dans l’obscurité palpitante du vide, le monde réel s’effaça et ses couleurs se mirent à vibrer. Elle envoya son esprit au plus loin possible, elle voulait rompre les amarres, disparaitre et se dissoudre. Elle laissa ses larmes prendre la forme de multiples pétales rosés, tourbillonnant autour d’elle. Entourée par les tentacules du vide qui l’engloutissait peu à peu. Elle lâchait prise. Elle attendait. Une fin qu’elle espérait rapide… Afin qu’elle puisse conserver son choix et sa vie telle qu’elle l’avait choisie.

Mais Etsujirō avait fini par s’inquiéter du déchainement de passion qu’elle semblait avoir déployé… Alors quand il la retrouva, inconsciente dans l’herbe il comprit que sa jeune élève avait tenté une chose somme toute stupide.

Alors dans l’infini tourbillonnant, il finit par apparaître non loin d’elle. Elle sursauta, de le voir aussi clairement. Elle fut prise de panique de le voir surgir ainsi et comme elle le présentait, il n’allait certainement pas la laisser agir à sa guise. Son visage était fermé, presque triste. Il s’approcha d’elle, dégainant un katana d’énergie pure, il trancha un à un les tentacules d’obscurité qui l’enserraient. Et lorsqu’elle faillit chuter dans le vide, il l’attira à lui, elle voulut résister mais finalement elle se laissa aller contre son torse. Ses yeux prenant la couleur du sang. Après une éternité, il finit par l’arracher à ce vide. Ils se retrouvèrent dans le jardin, la nuit était tombée, ce voyage dans les abymes avait, semble-t-il, duré quelques heures. Elle était serrée contre lui et tremblait encore du froid psychique dans lequel elle s’était plongée.

Il ne dit rien, pas un mot. Il finit par se relever, elle ne parvenait plus à bouger, alors il la porta jusqu’à sa chambre dans le silence de la fin de soirée. Il la déposa sur le futon et la recouvrit de la couverture. Une fois fait, il se redressa et s’en retourna…

« Etsujirō-sama… » murmura-t-elle.
Il s’arrêta : « Je… Je suis désolée. Je ne voulais pas… partir, je voulais juste pouvoir rester ici, avec vous. Je ne veux pas. Je… Je refuse. Sensei… Aidez-moi… Je vous en prie… ».
Il ferma les yeux et opina de la tête. Devant le silence de son maître, elle continua : « Répondez-moi, Etsujirō-sama » supplia-t-elle.
« Tant que tu n’auras pas réussi à apaiser ton esprit, je dois sceller tes pouvoirs. Tu ne pourras y retourner. Tâche de réfléchir à tes actes et à l’opportunité que représentent ces fiançailles pour ta famille. C’est ta place. Ravale ton orgueil et apprend la gratitude. Je n’ai rien d’autre à te dire, Sayuki-san. ».

Elle se releva maladroitement et se tint derrière lui, les mains serrées contre sa poitrine, ses beaux yeux remplit de larme : « Mais… Ne pourrais-je vous suivre ? Ne… ne pourrais-je devenir votre… okusama ? » dit-elle d’une voix émue.

Il soupira. Et se retournant soudain, il la gifla brusquement. Elle recula sous le choc et perdit l’équilibre, retombant lourdement sur le sol. Son regard était froid, il ne cilla pas un instant. Et sans répondre, il sortit. Elle se blottit dans les couvertures en position fœtale, en pleurant de manière saccadée jusqu’à ce que le sommeil l’emporte… Il resta quelques instants non loin de la fenêtre, écoutant ses sanglots, le visage troublé et mélancolique. Cela lui avait couté bien plus qu’il n’aurait voulu l’admettre.

Au petit matin, elle finit par s’éveiller, pâle comme un linge, épuisé, elle s’habilla maladroitement. En sortant, elle apprit que son Ishiken était introuvable et qu’il semblait avoir eu une mission urgente à remplir sous d’autres cieux. Elle ne dit rien… Profondément choquée, espérant de tout son cœur qu’il allait revenir malgré ce qui s’était passé le soir précédent. Rongée par la culpabilité d’avoir cédé à ce tourbillon de sentiments qui l’avaient alors assailli et pousser à révéler ses sentiments. Risquant ainsi de perdre la seule personne qu’elle ne pouvait imaginer quitter.

Pendant plusieurs semaines, elle se fit discrète, presque effacée au point que sa famille la crû malade. Elle s’isolait souvent, parlant peu, même à ses autres instructeurs. Un mois plus tard, Etsujirō revint enfin. Elle avait beau savoir qu’il était à nouveau au temple familial, ils ne se recroisèrent pas de suite, elle le fuyait presque… La première fois qu’elle le croisa de nouveau dans un couloir, Sayuki baissa les yeux lorsqu’il passa à sa hauteur, partagée entre de la tristesse ; de l’abattement et une profonde gratitude de le savoir revenu à ses côtés.
La vie reprit son cours, pour le moment… et ils ne parlèrent jamais de ce qui s’était passé cette nuit-là.

Horiuchi Sayuki

Horiuchi Sayuki

Jeune samourai-ko prometteuse du clan de la Licorne